Malgré les intérêts économiques de la Bolivie, dont les exportations vers les Etats-Unis sont appréciables, la relation bilatérale s’est détériorée par l’excès de rhétorique gouvernementale et la hausse de la production de cocaïne, à en croire les télégrammes du département d’Etat obtenus par WikiLeaks et révélés par Le Monde.
Le chef de cabinet, Juan Ramon Quintana, et le vice-président, Alvaro Garcia Linera, avaient pourtant sollicité une aide accrue des Etats-Unis dans la lutte contre les stupéfiants. En février 2006, M. Quintana assurait que l’agence anti-drogues américaine, la DEA, était la "bienvenue" dans la région du Chapare, fief de M. Morales, dirigeant des "cocaleros", les cultivateurs de la feuille de coca.
En octobre 2006, M. Garcia Linera exprimait à M. Goldberg sa "gratitude". Le vice-président se présente alors comme l’interlocuteur privilégié des Américains, prêt à répondre au téléphone à toute heure. Il propose même au nouvel ambassadeur de l’appeler par son prénom : "call me Alvaro".
Face aux fréquentes déclarations antiaméricaines du chef de l’Etat, M. Garcia Linera admet que le gouvernement devrait "baisser le ton" et demande à M. Goldberg "une bonne dose de patience". L’ambassadeur lui fait remarquer qu’être accusé de conspiration et de tentatives d’assassinat du président "est en dessous des normes acceptées de la diplomatie et du discours politique".
UN CONSEILLER DE LULA APPELÉ À L’AIDE
Dès décembre 2006, La Paz annonce son intention d’étendre la surface autorisée des plantations de feuilles de coca, passant de 12 000 hectares à 20 000. "Les stupéfiants restent au centre de la relation bilatérale, note un "mémo" de février 2007. Ce n’est pas surprenant, étant donné que le président Morales est le leader des fédérations de coca du Chapare."
Une note d’août 2007 souligne "l’incohérence de la politique du gouvernement bolivien à l’égard de la coca". En même temps, "pour distraire l’opinion des problèmes internes, les officiels utilisent la rhétorique antiaméricaine et accusent les Etats-Unis de financer l’opposition".
Les choses se dégradent assez vite. Washington est bientôt obligé de demander l’aide du conseiller diplomatique du président brésilien Lula, Marco Aurelio Garcia, pour que l’ambassade américaine à La Paz soit protégée des manifestations hostiles, révèle un télégramme de juin 2008. Brasilia accepte d’intervenir en ce sens. "Le Brésil a dit au gouvernement bolivien qu’il devrait modérer la rhétorique et régler ses disputes s’il veut avancer."
Le conseiller de Lula "ne voit pas comment un conflit avec les Etats-Unis peut être bénéfique pour la Bolivie". Brasilia fera savoir ensuite qu’il "avait transmis clairement au gouvernement bolivien l’importance de cesser de provoquer les Etats-Unis".
SCEPTICISME DE L’AMBASSADEUR SUR LES PRINCIPAUX OPPOSANTS
Lors d’une rencontre avec le secrétaire d’Etat adjoint Thomas Shannon, en juillet 2008, le président Morales s’excuse pour le harcèlement de l’ambassade à La Paz, mais les positions restent distantes. Peu après, en septembre, l’ambassadeur Goldberg est déclaré persona non grata en Bolivie. Cette mesure sera suivie en novembre par l’expulsion des agents de la DEA. Washington réplique par la suspension des préférences douanières dont bénéficiait la Bolivie (et les autres pays andins) au titre de l’effort fourni contre le trafic de drogues.
La principale accusation contre M. Goldberg a été d’avoir tenté d’"unifier l’opposition". Pourtant, un rapport secret montre, dès décembre 2006, le scepticisme de l’ambassadeur à l’égard des principaux opposants. Ainsi, les futurs candidats à la présidence Manfred Reyes Villa et Samuel Doria Medina sont traités de "dinosaures". L’ancien président Jorge "Tuto" Quiroga, très actif, est considéré "sans importance".
Aujourd’hui, les Américains ne sont plus les seuls préoccupés par la dérive bolivienne en matière de stupéfiants. Selon un "mémo" de novembre 2009, "les Européens notent l’augmentation de la production de coca, craignent l’introduction d’organisations criminelles d’autres pays et reconnaissent la perte de capacité des autorités boliviennes après l’expulsion de la DEA".
L’Europe, principale destinataire de la cocaïne produite en Bolivie, n’est pas en mesure de combler le vide laissé par l’agence américaine.
Selon les estimations de l’Union européenne, la surface cultivée de coca atteint 32 000 à 34 000 hectares (l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime l’évalue à 30 500 hectares). En décembre 2009, les Boliviens eux-mêmes, du moins leur Force spéciale de lutte contre le narcotrafic, admettent l’explosion de la cocaïne à Cochabamba, Santa Cruz et El Alto. Environ 44 000 familles du Chapare et 26 000 familles de la région de Los Yungas (La Paz) vivent des plantations de coca (sur une population de 9 millions).
Paulo A. Paranagua
Friday, 31 December 2010
WIKILEAKS : ETATS-UNIS - BOLIVIE, UNE RELATION VICTIME DE L'OVERDOSE DE COCA
via encod.org